L'écologie en politique : cinquante nuances de vert

Petit tour d’horizon de l’écologie en France.

L'écologie en politique : cinquante nuances de vert

Contrairement aux apparences, tous les écolos ne rêvent pas de la même chose. Certains caressent l‘espoir d’une croissance verte, d’autres veulent cravacher le capitalisme, et d’autres encore s’en tamponnent le coquillard.

En général, on parle de “l’écologie” au singulier, comme s’il n’existait qu’une seule vision de l’écologie. Comme si tous partisans de “l’écologie” aspiraient à la même chose.

Mais la réalité est loin d’être aussi simple (sinon ce serait pas drôle). Car on utilise un même mot, “l’écologie”, pour désigner des choses très différentes. Et ça brouille les pistes !

La toute première “écologie”, d’un point de vue historique, c’est l’écologie scientifique. C’est-à-dire la science qui s’intéresse aux relations qu’entretiennent les êtres vivants entre eux et avec leur environnement.

En tant que science, elle n’a pas vocation à dicter des décisions politiques, simplement à décrire le monde tel qu’il est, et tel qu’il fonctionne. Il appartient ensuite aux citoyens et aux gouvernements de tirer (ou pas) des conclusions politiques de ces connaissances scientifiques.

Comme je ne souhaite pas ici parler de science mais de politique, je vais laisser l’écologie scientifique de côté, bien que la distinction entre “science” et “politique” soient parfois plus floue qu’on ne le pense.

Dans la sphère politique, tous les partis s’intéressent d’une manière ou d’une autre à la gestion des ressources “naturelles”. TOUS. (Enfin, tous ceux qui sont sérieux).

Il s’agit par exemple de politique agricole, ou de politique énergétique.

Il faut décider quelles ressources on souhaite utiliser, dans quelle mesure, avec quels moyens, et au bénéfice de qui. C’est le b.a.-ba de la politique.

“Tout le monde, et d’abord le capitalisme, a besoin de politiques écologiques. Mais pas forcément les mêmes ! […]
Toute société et tout État a besoin de « faire de l’écologie ». Aménager le territoire est une obligation et une tâche constitutive de tout État depuis sa naissance.”Alain Lipietz, économiste, et Maria-Fernanda Espinosa, Ministre des Affaires Etrangères de l’Equateur

Aujourd’hui, la plupart des programmes politiques inclue non seulement des projets d’utilisation (ou d’exploitation) des ressources naturelles mais aussi des mesures de “protection” ou de “préservation” de l’environnement, même minimes.

Contrairement à ce que laissent entendre certains discours politiques, il n’existe cependant pas d’écologie “ni de gauche, ni de droite” qui mettrait tout le monde d’accord au-delà des clivages politiques. Tout projet écologique a une orientation politique, qu’elle soit ouvertement affichée ou non.

Et chaque famille politique a développé des liens spécifiques avec la cause environnementale.

Pour certains, la crise environnementale sera l’enjeu majeur du 21ème siècle, autour duquel toutes les politiques d’avenir doivent se construire. Pour d’autres, le “green” n’est qu’un verni électoral à la mode.

Pourtant l’environnement n’a pas toujours été un sujet glamour. Loin de là ! Il n’y a pas si longtemps encore, personne n’avait envie d’en entendre parler. Pas même ses amis d’aujourd’hui.


L’environnement, ce boulet politique

Bien que la cause environnementale semble aujourd’hui plus ancrée à gauche, ce lien n’a pas toujours coulé de source.

Jusqu’aux années 1960–1970, la gauche française n’était pas plus à l’écoute de l’environnement que ses adversaires politiques. Les principales organisations de gauche partageaient une vision du progrès qui laissaient peu de place à la remise en question du productivisme.

Le productivisme, c’est l’idée selon laquelle il faut chercher à accroître la production industrielle en permanence. Cette dynamique nécessite beaucoup de ressources naturelles et rend très compliquée la “protection” de l’environnement.

“L’écologie n’appartient pas au patrimoine idéologique de la gauche et l’écologie fut toujours une source d’interrogations et de perturbations pour cette gauche.” Philippe Buton, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Reims

Quand le Parti Socialiste et le Parti Communiste Français s’emparent enfin de la question environnementale dans les années 1970, elle s’était déjà frayé un bout de chemin au sein de la droite ultra-conservatrice. Si bien que les écologistes “de droite” aiment aujourd’hui à rappeler que c’est au sein de mouvements conservateurs allemands et britanniques que sont nées les premières mobilisations pour la protection de l’environnement, à la fin du 19ème siècle.

Ces conservateurs redoutaient avant tout les ravages de l’industrialisation et de l’urbanisation sur la nature sauvage ainsi que sur leurs modes de vie traditionnels. Ils ne pensaient donc pas uniquement aux petits oiseaux puisqu’ils défendaient aussi leur bout de gras, c’est-à-dire des traditions et un certain ordre de société qui jouait à leur avantage.

D’ailleurs il ne faut pas non plus en déduire que la droite aurait été beaucoup plus ouverte à l’écologie que la gauche. Après la Seconde Guerre Mondiale, la droite française n’a plus souhaité entendre parler de protection de l’environnement pendant toutes les Trente Glorieuses.

A partir des années 1970, la droite manifeste de nouveau un intérêt pour la cause environnementale, mais de manière très chaotique. Elle est à l’origine de la création du tout premier Ministère de l’Environnement en France (1971), puis reste ensuite “muette” sur la question environnementale dans ses programmes politiques de 1978 à 1988 (Facchini et Michallet).

“Gaullistes et démocrates-chrétiens se sont faits les premiers défenseurs de la modernité industrielle et des bienfaits de la croissance économique. Ils ont promu la révolution agricole et la modernisation industrielle et militaire de la France, au point de s’éloigner largement du souci d’une nature préservée.”Simon Persico, chercheur en sciences politiques

La droite française, libérale puis néolibérale sur le plan économique, s’est montrée de plus en plus réticente à l’idée que l’Etat intervienne en matière de protection de l’environnement.

Simon Persico fait d’ailleurs remarquer que la filiation entre les mouvements conservateurs de la fin du 19ème siècle et la désobéissance civile dans le plateau du Larzac est “tout sauf évidente”. Effectivement !

Car il ne faut pas s’y tromper : même si l’on confond souvent environnementalisme et écologie politique, ces deux concepts ne sont pas synonymes pour autant. Cette différence sémantique est importante à rappeler puisqu’elle permet de comprendre ce qui différencie les mouvements environnementaux entre eux.

L’environnementalisme, c’est la volonté de “protéger l’environnement naturel”, c’est-à-dire la volonté de “protéger la nature”. L’environnementalisme prône une autre gestion des ressources “naturelles” qui permettrait de les “préserver”.

L’écologie politique, c’est un projet de société qui remet profondément en question notre système politique et économique. L’écologie politique estime que les crises environnementales et sociales sont liées : il faut donc les aborder ensemble. Alors l’écologie politique ne s’intéresse pas uniquement à l’environnement, mais aussi à la politique, à l’économie et aux relations sociales.

Les mobilisations du 19ème siècle relèvent plutôt d’un environnementalisme conservateur, voire réactionnaire, alors que la lutte du Larzac est un évènement fondateur de l’écologie politique et de l’altermondialisme en France.

De fait, il existe aujourd’hui une grande diversité de projets “écologiques”. Des écologies venues “de gauche”, “de droite” ou d’ailleurs.

J’ai regroupé ces projets “écologiques” en quatre catégories pour dégager les grandes lignes de chacun d’entre eux ; mais les choses sont évidemment beaucoup plus nuancées que je ne peux le détailler ici.


Greenwashing politique et opportunisme électoral

Pour une grande partie de “la droite” en France, la question environnementale n’est pas un enjeu politique central. L’intérêt qu’un parti comme Les Républicains porte à l’environnement est très changeant. En interne, beaucoup considèrent que le sujet est cosmétique, voire négligeable, si ce n’est encombrant.

Mais je ne vais pas parler ici de “la droite” comme d’un bloc monolithique, puisque certaines personnalités et certains courants de pensée, bien que minoritaires, sont fermement engagés pour la protection de l’environnement. J’y reviendrai plus tard.

Il n’en reste pas moins que pour toute une frange de la droite de gouvernement, l’environnement n’est, au mieux, qu’une variable d’ajustement électorale qui permettrait de récolter des voix lorsque le vent semble favorable. Mais attention, le vent peut tourner très vite !

Pour comprendre l’attitude de la droite vis à vis de l’environnement, je me suis beaucoup appuyée sur le travail de Simon Persico, spécialiste des partis politiques et des politiques environnementales (notamment “Les droites françaises et l’écologie (1971–2015)”).

Le chercheur en sciences politiques rappelle le changement d’attitude radical de Nicolas Sarkozy à propos de l’environnement. Signataire du “Pacte écologique” de Nicolas Hulot en 2007 lorsqu’il était candidat à la présidentielle, le futur président s’engageait à organiser un Grenelle de l’Environnement. Une crise économique plus tard, lors du Salon de l’Agriculture de 2011, Nicolas Sarkozy déclarait que “l’environnement, ça commence à bien faire !”

En 2016, il va même jusqu’à nier la responsabilité des activités humaines dans le réchauffement climatique (“Il faut être arrogant comme l’Homme pour penser que c’est nous qui avons changé le climat”). Pour la cohérence, on repassera…

“C’est tout de même compliqué d’être conservateur, néolibéral, productiviste… et écologiste. On le voit avec l’évolution de Nicolas Sarkozy sur le sujet, ou la négligence absolue de François Fillon.” — Simon Persico, dans une interview pour Mediapart

Les quelques responsables politiques de droite, dont Jacques Chirac, à avoir essayé de lancer des politiques environnementales se sont rapidement confronté au désintérêt voire à l’opposition des parlementaires de leur propre camp.

Pour le chercheur, ces aller-retours sur l’environnement révèlent surtout que les partis de droite, dont Les Républicains, se sont éloignés des réflexions politiques de fond et se concentrent désormais sur la conquête du pouvoir, coûte que coûte (on parlait de vent tout à l’heure…).

La cause environnementale ne fait pas partie intégrante de leur projet politique. C’est avant tout une stratégie électorale, un greenwashing politique.

Si affirmer que l’on compte protéger l’environnement est aisé, agir concrètement l’est beaucoup moins. Cela implique de remettre en cause, au moins à court terme, une série d’activités potentiellement nuisibles à l’environnement : l’agriculture intensive, l’industrie, l’aviation, le nucléaire…
Or, une grande partie des responsables de droite sont en lien direct avec ces secteurs de l’économie, quand ils n’en sont pas eux-mêmes issus. Ils sont donc très attentifs aux revendications des organisations patronales, du syndicat agricole majoritaire et des représentants des entreprises de l’industrie lourde ou de l’énergie, car ils sont convaincus que le dynamisme de ces secteurs est une condition indispensable au progrès.” — Simon Persico

A l’extrême droite, le Front National ne s’est que vaguement intéressé à l’environnement depuis le début des années 1990, sans pour autant prendre de position déterminante. Malgré les tentatives de Bruno Mégret ou de Laurent Ozon, l’écologie est restée un sujet de “bobo” aux yeux de Jean-Marie Le Pen. L’arrivée de Marine Le Pen à la direction du parti n’a pas révolutionné l’attitude du Front National à propos de l’environnement.

Il existe néanmoins une écologie politique d’extrême droite, en dehors des cadres du Front National. Je vous en parlerai un peu plus loin.


Pour un capitalisme “vert” et “vertueux”

La ligne politique des grands partis de droite n’empêche pas pour autant certains de leurs membres d’afficher un intérêt fort et constant pour l’environnement. C’est le cas de personnalités comme Nathalie Kosciusko-Morizet, Chantal Jouanno ou Jean-Louis Borloo.

Ils s’inscrivent au sein d’un projet environnementaliste qui aime se dire “ni de gauche, ni de droite” et que l’on peut qualifier d’environnementalisme dominant, ou “mainstream : un projet écologique qui souhaite “protéger la nature” sans pour autant changer radicalement notre système économique et politique.

Il s’intéresse avant tout à la gestion des ressources naturelles. Son objectif est de nous permettre d’utiliser les ressources dont nous estimons avoir besoin aujourd’hui “sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs besoins” (rapport Brundtland).

C’est actuellement l’idéologie environnementale majoritaire sur l’échiquier politique. On la retrouve donc un peu chez Les Républicains, mais surtout chez La République En Marche et dans la partie “centriste” du Parti Socialiste.

Cet environnementalisme vise à “verdir” le capitalisme et le néolibéralisme. Il promeut pour cela un modèle de “croissance verte” qui permettrait de générer de la croissance économique sans accroître la dégradation de l’environnement. C’est ce que la plupart des gens appelle “le développement durable”.

L’environnementalisme mainstream considère que les solutions aux problèmes environnementaux se trouvent justement au sein du capitalisme et du néolibéralisme, avec plus ou moins de régulations de la part de l’Etat selon les orientations politiques.

L’environnementalisme mainstream inclue ce que l’on appelle “l’écologie de marché” (ou “free ecology” en anglais), qui souhaite mettre les logiques du capitalisme et du néolibéralisme au service de l’écologie.

L’argument principal est le suivant : l’épuisement des ressources naturelles et plus généralement la dégradation de l’environnement ne sont pas la conséquence du capitalisme, mais de son absence.” — François Facchini, Benjamin Michallet, “La dynamique de l’environnementalisme en France

Les solutions aux problèmes environnementaux passeraient donc par la propriété privée et l’économie de marché. Il s’agit par exemple du marché des “droits à polluer” (le “marché du carbone”) qui permet aux Etats et aux entreprises de vendre ou d’acheter des permis d’émissions de gaz à effet de serre. On pourrait aussi parler de la “finance verte” et des “obligations vertes”.

Par ailleurs, ce projet écologique mise en grande partie sur le développement des technologies “vertes” (ou “propres”) et des hautes technologies. A chaque problème sa solution technologique (ou presque).

Des solutions technologiques sont ainsi envisagées dans tous les domaines, impliquant des multinationales tout comme des start-ups : production d’énergie (centrales nucléaires, énergies “renouvelables”), transports (véhicules électriques, hyperloop), agriculture (organismes génétiquement modifiés, cultures hors sol), etc.

Il faut noter cependant que tous les environnementalistes mainstream ne sont pas forcément favorables à chacune de ces “solutions”. J’insiste sur le fait qu’il existe un grand nombre de sensibilités et d’opinions différentes au sein de cette catégorie, qui n’est qu’un moyen pour moi de présenter les grandes lignes des différents projets écologiques. Il ne s'agit pas d'une entité homogène.

En tout cas, la démarche du président Emmanuel Macron sous la bannière de “Make our planet great again” s’inscrit pleinement dans ce projet d’environnementalisme mainstream. En décembre 2017 par exemple, c’est lors de l’événement “Tech for planet” (“la technologie au service de la planète”) à Station F (“le plus grand incubateur de start-ups au monde”) que le président a choisi d’annoncer les lauréats de la fameuse bourse promise aux meilleurs spécialistes du climat. Au-delà du coup de communication, ce choix illustre la position idéologique du président : environnementalisme, capitalisme et “technologisme” seraient non seulement compatibles, mais aussi mutuellement profitables.

Ce qui est moins connu, c’est que, d’après la définition donnée en 1992 par l’ONU lors du Sommet de la Terre à Rio, le concept de développement durable comporte aussi une dimension sociale, et notamment le souci de répartir équitablement les ressources entre humains.

Cette question d’équité, plutôt épineuse, se retrouve en général négligée ou effacée des débats publics sur “le développement durable”. En tout cas, la question sociale ne figure pas au coeur du projet de l’environnementalisme mainstream. Le problème des hautes technologies, par exemple, c’est qu’elles risquent de n’être accessibles qu’aux personnes qui en ont les moyens. Les éco-taxes, quant à elles, pourraient tout simplement réserver le droit de polluer aux plus riches. Pas très fair play.


L’écologie politique, radicale et progressiste

L’écologie politique considère, en revanche, qu’une répartition plus juste des ressources (entre humains, mais aussi avec les êtres vivants “non-humains”) est non seulement ce qu’il y a de plus éthique, mais qu’elle est absolument nécessaire pour changer notre rapport à l’environnement et à la nature.

Pour l’écologie politique en effet, la mauvaise gestion des ressources naturelles est le résultat d’une mauvaise organisation sociale et politique.

Malheureusement, les problèmes environnementaux aggravent à leur tour les inégalités sociales, ce qui ne peut qu’entrainer un cercle vicieux de crises économiques, sociales et environnementales.

Si l’on souhaite trouver des réponses aux problèmes environnementaux, il faut donc proposer des solutions aux problèmes économiques et sociaux en même temps.

“Toutes les crises écologiques modernes résultent d’un dysfonctionnement du système socio-économique, ou plus exactement d’une impossibilité de “soutenir” la dynamique de ce système.” — Alain Lipietz, économiste, “Qu’est-ce que l’écologie politique

Le système socio-économique dénoncé ici repose sur une logique d’accumulation et de croissance économique éternelle. Pour l’écologie politique cette dynamique est insoutenable parce qu’elle entraîne l’épuisement des ressources environnementales et l’aggravation des inégalités sociales.

De fait, l’écologie politique remet profondément en question le capitalisme et le néolibéralisme économique.

Elle ne partage que moyennement l’enthousiasme de l’environnementalisme mainstream pour les solutions technologiques, qu’elle perçoit souvent comme des miroirs aux alouettes.

A titre indicatif, on trouve de l’écologie politique à l’extrême-gauche du Parti Socialiste, au sein de la France Insoumise, et aussi, bien sûr, chez Europe Ecologie-Les Verts.

Et même si l’écologie politique se retrouve, de fait, plus proche de la gauche et de l’extrême gauche, elle ne souhaite aucunement remettre le soviétisme au goût du jour. Elle est d’ailleurs plutôt critique envers certains courants marxistes et socialistes traditionnels.

L’écologie politique n’est pas non plus très partisane d’un Etat centralisé, autoritaire et tout puissant. Elle tient fermement aux libertés individuelles, de même qu’elle est parcourue de mouvements libertaires et anarchistes qui souhaitent plutôt des systèmes de gouvernements locaux en auto-gestion.

Bien qu’opposés au libéralisme économique, les partisans de l’écologie politique “de gauche” défendent des valeurs relevant du libéralisme culturel, c’est-à-dire “un système de valeurs anti-autoritaires, valorisant l’autonomie et l’épanouissement individuel, reconnaissant à chacun le droit au libre choix de son mode de vie, et fondé sur le principe de l’égale valeur intrinsèque de tout être humain quels que soient sa religion, son sexe ou son rang social” (Grunberg et Schweisburgh, cités par Sébastien Repaire) .

Comme le souligne l’économiste Alain Lipietz, Les Verts sont engagés de longue date en faveur du partage du temps de travail, de l’égalité hommes-femmes, des droits LGBTQ et des droits des étrangers (même si Les Verts restent “le parti de la nature” dans l’opinion publique).

Le projet de l’écologie politique n’est donc pas un “retour en arrière” puisqu’il est profondément progressiste sur le plan social. Il n’y a pas de nostalgie du passé. Il s’agit de remettre en question les traditions, les ordres pré-établis, et d’inventer de nouveaux rapports avec l’environnement et les autres humains.

Mais… ce projet de société peine à exister dans les scores électoraux. Si bien que malgré l’ampleur des révolutions qu’elle veut mettre en place, l’écologie politique reste très marginale dans le monde de la politique institutionnelle. Ce qui ne l’empêche pas de remporter des victoires politiques “de terrain”, en témoigne l’abandon du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes.


Les écologies conservatrices et réactionnaires

Ce sont les projets écologiques les moins visibles de tous. On l’ignore souvent, mais il existe aussi des écologies politiques conservatrices, ainsi que des projets écologiques réactionnaires et d’extrême droite. Ils sont peu connus, mais ils n’en sont pas moins actifs.

Dans cette catégorie, le projet conservateur le plus “modéré” est probablement l’écologie conservatrice d’influence chrétienne, qui se présente comme une écologie intégrale.

L’écologie intégrale a récemment gagné en visibilité suite à l’encyclique Laudato si du pape François et à la création de la revue Limite en 2015, qui a obtenu le soutien de têtes d’affiches comme Eugénie Bastié et Natacha Polony.

L’un des premiers promoteurs de l’écologie intégrale en France serait Falk van Gaver, journaliste et essayiste, auteur de L’Écologie selon Jésus-Christ (2011) et de Christianisme contre capitalisme. L’économie selon Jésus-Christ (2017). Mais même si elle est née en milieu chrétien, cette écologie intégrale aurait, selon lui, vocation à le dépasser.

L’écologie intégrale chrétienne a d’importants points communs avec l’écologie politique de gauche : vive critique du capitalisme et du néolibéralisme, intérêt pour les théories de la décroissance économique et de la sobriété volontaire.

Sur la question des moeurs, en revanche, l’écologie intégrale chrétienne diffère radicalement de l’écologie politique.

En plus d’une écologie environnementale, elle prône une écologie “humaine”, c’est-à-dire une écologie des corps humains et des esprits. Cette “écologie humaine” touche surtout à des questions bioéthiques et sociétales.

Ainsi, l’écologie intégrale s’oppose à l’avortement, au mariage des couples homosexuels, à “l’indifférenciation sexuelle” (et à la “théorie du genre”), à la procréation médicalement assistée, et à l’euthanasie. Certains membres influents de l’écologie intégrale chrétienne sont d’ailleurs proches de mouvements tels que Les Veilleurs et La Manif Pour Tous.

Cela n’empêche cependant pas l’écologie intégrale d’adapter certains concepts progressistes à sa cause, notamment lorsque la revue Limite titre “Osez le féminisme intégral !” à l’automne 2017 (sur le “féminisme intégral”, lire ici une interview de Marianne Durano, journaliste chez Limite).

Historiquement, l’écologie intégrale chrétienne n’est cependant pas la première écologie conservatrice à se faire connaître en France. L’un des premiers courants écologiques conservateurs est sans doute la Nouvelle Droite (en réalité plutôt d’extrême droite, voire réactionnaire), qui s’intéresse à l’écologie depuis les années 1980 et dont la figure de proue est le philosophe Alain de Benoist. Elle est aussi anti-capitaliste, anti-libérale, et en faveur d’une décroissance économique.

Mais point de Jésus ici, puisque la Nouvelle Droite relèverait plutôt du “néo-paganisme” (le refus, parfois virulent, des valeurs et des dogmes monothéistes). Cette analyse de la Nouvelle Droite ainsi que celles qui vont suivre reposent en grande partie sur le travail du chercheur en sciences politiques Stéphane François, qui a beaucoup étudié les liens entre l’extrême droite et l’écologie.

D’après ce chercheur, la Nouvelle Droite aurait des liens de filiation avec les mouvements conservateurs allemands de la fin du 19ème siècle et de l’entre deux guerres, comme la “Révolution Conservatrice” allemande, aussi qualifiée par l’historien Louis Dupeux de “pré-fascisme”.

Depuis les années 2000, c’est tout une écologie d’extrême-droite qui se serait développée à partir de la Nouvelle Droite et en-dehors. Avec certaines variantes survivalistes racistes et antisémites.

L’un des thèmes communs à ces mouvements écologistes d’extrême-droite semble être l’ethno-différentialisme. Il se présente comme une sorte d’écologie des populations humaines : comme les animaux, chaque groupe de population (ou “race”) humaine devrait être maintenue dans son environnement “naturel” et/ou culturel.

Pierre Vial, le fondateur du mouvement identitaire Terre et Peuple, insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas tant de définir une hiérarchie entre les races, mais plutôt de reconnaître des différences “physicobiologiques” qui déterminent la capacité de chaque groupe de population à s’adapter à un environnement donné. Les différentes cultures seraient par ailleurs incompatibles entre elles et ne devraient donc pas se mélanger.

“Cet ethnodifférentialisme peut être défini comme étant à la fois un droit à la différence, et par conséquent comme un droit à la défense des identités et des cultures des peuples […].
Il peut aussi évoluer vers un système ségrégationniste, tout mélange/contact entraînant une perte de la différence — voire vers une politique anti-immigrationniste, les immigrés extra-européens devant retourner « chez eux » pour retrouver « leurs racines », voire, pour les plus racistes, leur environnement naturel.” — Stéphane François, “L’extrême-droite française et l’écologie

L’écologie réactionnaire d’extrême-droite s’occupe aussi de questions de sexe et de genre, pour mieux les rejeter : il faudrait “respecter” les différences entre hommes et femmes, les inégalités étant jugées naturelles, mais aussi refuser catégoriquement l’homosexualité, la transidentité et le changement de sexe.

Malgré des désaccords fondamentaux sur les questions sociales, l’écologie d’extrême droite s’inspire parfois de systèmes promus par l’écologie d’extrême gauche. Certains mouvements identitaires auraient par exemple repris à leur compte le principe des AMAP . Le chercheur Stéphane François relève que certains mouvements néo-fascistes se présentent désormais comme des “altermondialistes de droite”. Comme quoi…!


Evidemment, je ne vous ai décrit ici que les grandes lignes. Mais elles permettent déjà de comprendre qu’il n’existe pas qu’une seule écologie, unique et consensuelle. Il existe au contraire plusieurs projets écologiques radicalement différents.

Quoi que l’on pense de la pertinence de l’axe politique “gauche-droite”, je remarque que la plupart de ces projets choisissent de l’utiliser pour se définir. Certains l'utilisent pour se situer, d’autres font mine de s’en affranchir. Mais les références y sont récurrentes.

Pour y voir plus clair, je propose surtout de comprendre ces projets de la manière suivante.

  • Sur le plan social et culturel : des projets progressistes face à des projets conservateurs (environnementalisme mainstream et écologie politique pour les projets progressistes / greenwashing de la droite de gouvernement et écologies conservatrices ou réactionnaires pour les projets conservateurs)
  • Sur le plan économique : des projets en faveur du capitalisme et du néolibéralisme face à des projets en faveur d’une décroissance et d’une sobriété volontaires (greenwashing de la droite de gouvernement et environnementalisme mainstream en faveur / écologie politique et écologies conservatrices ou réactionnaires pour décroissance et sobriété)
Il y a bien un déterminisme idéologique au sens où chaque parti choisit l’environnementalisme qui ne remet pas en cause sa cohérence.” — François Facchini, Benjamin Michallet, “La dynamique de l’environnementalisme en France

Au-delà même des idéologies, chaque projet écologique comprend la question écologique d’une manière différente. Il y a des désaccords profonds à propos des causes et de la gravité des problèmes environnementaux.

Pour certains, il n’y a pas vraiment d’urgence, ou si peu. Les problèmes environnementaux (s’ils existent !) sont loin d’être aussi importants et prioritaires que d’autres enjeux politiques, comme le retour de la croissance économique, la signature d’accords transnationaux de libre échange ou la réduction de la dette publique.

Pour d’autres, les problèmes environnementaux apparaissent d’une telle gravité qu’il faudrait un changement radical et immédiat du système économique afin d’éviter un effondrement de civilisation dans les années ou décennies qui viennent.

Je sais que ça a l’air tiré par les cheveux, mais ce n’est malheureusement pas qu’un délire d’environnementalistes fanatiques. Les constats scientifiques sont plus qu’alarmants et, malgré les beaux discours, rien ne semble aujourd’hui freiner le rythme des dégradations environnementales. Dans un tel contexte, les “utopistes” ne sont peut-être pas ceux que l’on croit…


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