A propos du “cri d’alarme des 15 000 scientifiques” pour sauver la planète

Mon opinion sur la tribune publiée par le 13 novembre 2017 par Le Monde, un “manifeste signé par 15 364 scientifiques de 184 pays" paru dans la revue BioScience.

A propos du “cri d’alarme des 15 000 scientifiques” pour sauver la planète

J’avais prévu de publier un petit paragraphe sur la page facebook de mon blog, Le Troisième Baobab, et puis je me suis rendue compte que ça devenait un gros pavé. Alors j’ai plutôt décidé d’en faire un petit article.

Je parle de la tribune publiée par Le Monde, qualifiée de « cri d’alarme ». Un “manifeste signé par 15 364 scientifiques de 184 pays, à paraître lundi dans la revue BioScience”.

Ceci est une réaction « à chaud », je risque donc de changer d’avis sur certains point puisque je vais continuer d’y réfléchir dans les jours qui viennent. Je ne prétends surtout pas avoir raison, ni maintenant ni dans quelques jours. Je partage simplement de ce que cette tribune m’inspire.

Après quelques recherches, je comprends que l’auteur principal de ce texte est William J. Ripple, qui est un éminent professeur d’écologie à l’Université d’Etat de l’Oregon (Etats-Unis) au sein du département “Ecosystèmes Forestiers et Société”.

La liste des co-auteurs mentionnés par Le Monde comporte les noms de scientifiques qui semblent tous être chercheurs dans le même domaine. J’espère cependant ne pas m’être trompée dans mes recherches sur ces personnes parce que les noms de certains d’entre eux sont portés par plusieurs personnes dans la communauté scientifique.

Aussi, j’aurais bien aimé savoir à quelles disciplines appartiennent les 15 000 signataires de cette tribune, et notamment s’il y a parmi eux des chercheurs en sciences humaines et sociales, ou s’il s’agit principalement de chercheurs en sciences naturelles. La liste des signataires est probablement disponible quelque part, mais je n’ai pas le temps d’éplucher 15 000 noms, ni de vérifier leur degré de qualifications scientifiques.

Quoi qu’il en soit, je partage complètement les constats et le message général que cette tribune veut faire passer. Je tiens toutefois à nuancer ou à creuser certains points, dont je vous parlerai dans un instant.

Mais si une chose est sûre, c’est que la situation est affreusement grave.

Nous sommes coupables d’avoir refusé de voir la réalité en face pendant des décennies.

“Nous”, ce sont les dirigeants politiques que nous avons élus. Ce sont les entreprises que nous avons encouragées dans cette voie en leur donnant notre argent. Ce sont les banques qui investissent dans les énergies fossiles. Ce sont les médias qui ont font passer l’environnement après les petites phrases politiciennes, parce que n’est pas assez vendeur.

“Nous”, c’est aussi nous, les citoyens qui ne voulons pas entendre. Qui ne voulons renoncer à rien, ni à notre mode de vie ni à nos privilèges.

Mais fermer les yeux sur un problème ne le fait pas disparaître. Pendant que nous détournons le regard sans rien faire, il empire.

Même si j’essaie de maintenir un cap optimiste dans mes articles, je ne suis pas sereine. Et j’ai peur. J’ai peur pour mon avenir, pour celui de mes enfants si j’en ai un jour, pour celui de mes homologues humains.

Le changement climatique et les pollutions multiples causées par les activités humaines menacent directement la survie de dizaines, voire de centaines de millions de personnes à travers le monde.

Et ne vous pensez surtout pas à l’abri, vous qui me lisez depuis votre canapé dans votre maison européenne bien chauffée au coeur de l’hiver.

Car si vous ne vous intéressez pas au changement climatique, c’est lui qui s’intéressera à vous.

Néanmoins, il y a bien une chose dont je me réjouis aujourd’hui.

C’est de voir que les scientifiques osent enfin prendre des positions politiques claires et tranchées. Quitte à sortir de la neutralité qui leur est chère. Quitte à choquer, à ne pas être consensuel, à ne pas être politiquement correct.

Car les spécialistes de l’environnement ont un rôle politique, et ils ne doivent plus avoir peur de l’assumer.

Je parlais dans un billet récent de la multiplication des angoisses existentielles et des dépressions parmi les spécialistes du climat (ci-dessous).

Le blues des climatologues

Quand la dépression n’est plus seulement atmosphérique.

troisiemebaobab.com

Les émotions sont un sujet tabou dans le monde de la science, et les scientifiques hésitent souvent à exprimer ce qu’ils ressentent. Mais aujourd’hui, il serait presque irresponsable de ne pas en parler.

Parce qu’il est nécessaire que le grand public comprennent l’ampleur de la catastrophe en cours. Seulement, cette connaissance scientifique ne doit pas se contenter d’informer de manière rationnelle.

Elle doit aussi pouvoir toucher le grand public jusque dans ses tripes.

Pourquoi ? Je l’expliquais dans cet autre article : parce que notre cerveau a besoin des émotions pour percevoir les risques.

Pourquoi tout le monde se fiche du climat

Le changement climatique c’est terrible, mais tu as autre chose à faire. C’est pas de ta faute : ton cerveau te joue…

troisiemebaobab.com

C’est pour cela que les spécialistes de l’environnement ne doivent plus uniquement publier des articles scientifiques dans des revues scientifiques.

Ils doivent aussi s’adresser directement au grand public.

Et ils doivent absolument utiliser toute la palette d’outils disponibles pour communiquer leur message.

Car le message de ces scientifiques n’est pas agréable à entendre, et il entre en concurrence avec toutes les autres informations dont nous sommes en permanence bombardés.

Il est donc important que le fond du message soit scientifiquement correct, mais il ne faut plus hésiter à en soigner la forme.

Les sciences de l’information et de la communication ainsi que les sciences du marketing ont un rôle extrêmement important à jouer dans ce combat.

Après voir rappelé les catastrophes en cours, la tribune énumère 13 exemples de “mesures efficaces et diversifiées que l’humanité pourrait prendre pour opérer sa transition vers la durabilité”.

Je comprends et approuve la majorité d’entre elles, notamment la “réorientation du régime alimentaire vers une nourriture d’origine essentiellement végétale” dont j’expliquais l’intérêt dans l’article ci-dessous.

Pourquoi les écolos deviennent aussi végétariens

En France, la viande c’est sacré. C’est le royaume divin de la blanquette, de l’andouillette et du saucisson. Mais d…

troisiemebaobab.com

Pour ce qui est des objectifs démographiques en revanche, je suis un peu plus nuancée.

La démographie est un sujet extrêmement complexe et dont je ne suis pas experte. Mais il se trouve que je l’ai tout de même beaucoup étudié durant mes études en histoire, en géographie, et en développement durable. C’est un sujet que je connais, notamment en ce qui concerne le rapport entre populations et environnement.

Alors oui, comme le conseillent les auteurs de la tribune, il faut “réduire encore le taux de fécondité en faisant en sorte qu’hommes et femmes aient accès à l’éducation et à des services de planning familial, particulièrement dans les régions où ces services manquent encore”. Oui, 100% d’accord.

Et pour aller plus loin, il faut rappeler que l’une des méthodes les plus efficaces pour faire baisser le taux de fécondité est de permettre aux femmes de maîtriser leur destin. Cela passe par la lutte contre les inégalités hommes-femmes, par l’accès des femmes à l’éducation et aux soins de santé, et par la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

Une des méthodes les plus efficaces pour “sauver la planète”, c’est donc le féminisme. Voilà, autant ne pas avoir peur des mots. Ce n’est pas une question d’idéologie, c’est prouvé scientifiquement et empiriquement depuis des dizaines d’années.

En revanche, la dernière mesure proposée dans la tribune me laisse très dubitative : “déterminer à long terme une taille de population humaine soutenable et scientifiquement défendable tout en s’assurant le soutien des pays et des responsables mondiaux pour atteindre cet objectif vital.”

C’est après avoir lu cette proposition que je me suis demandée si des démographes, ou plus largement si des chercheurs en sciences sociales, avaient validé cette idée.

Déterminer une taille de population soutenable et souhaitable, est-ce vraiment possible ?

Si je comprends bien, il serait question de déterminer un chiffre, c’est bien ça ?

L’exercice me semble assez périlleux. L’ONU explique par exemple dans ce rapport de 2012 que les recherches scientifiques sur la capacité de charge de la Terre convergent vers une fourchette de 8 à 16 milliards d’humains. La capacité de charge, c’est le nombre maximal d’humains que la Terre peut supporter.

On a donc un chiffre qui varie du simple au double. Pourquoi ? Parce que notre taille de population “soutenable” varie considérablement en fonction de nos modes de vie, et de la manière dont nous utilisons les ressources de l’environnement !

Le nombre d’humains que notre planète peut supporter repose sur un nombre gigantesque de facteurs.

La taille d’une population “soutenable” ou “souhaitable” dépend en très grande partie du contexte social, culturel, économique et politique, et ce contexte peut changer de manière imprévisible sur le long terme !

Elle dépend par exemple :

  • de ce que nous mangeons (régime carné, végétarien ou végétalien)
  • de la manière dont nous produisons notre nourriture (agriculture industrielle et mondialisée avec intrants chimiques et énergies fossiles, ou agriculture biologique locale en agro-écologie et permaculture)
  • de ce que nous fabriquons et à quel rythme (société de consommation et obsolescence programmée, ou sobriété et minimalisme)
  • du système économique et de la répartition des ressources entre humains (très grandes inégalités sociales où une élite accumule toutes les ressources, ou système de répartition)
  • de l’existence ainsi que de la qualité d’un système de sécurité sociale, notamment de retraites (sinon, on ne peut compter que sur ses enfants quand on devient trop vieux, donc on a intérêt à en avoir plusieurs)
  • des décisions politiques et des lois en matière de natalité, qui elles-mêmes dépendent des rapports de force nationaux et internationaux (politiques natalistes et allocations pour inciter à faire des enfants, ou politique anti-nataliste de l’enfant unique)
  • des valeurs éthiques et morales, de l’influence des religions (rapports à la parentalité, à la sexualité, à la contraception, au divorce, à l’avortement)

Pour déterminer une taille de population soutenable et savoir comment l’atteindre, il faut jongler avec toutes ces variables, dont aucune n’est fixe sur le long terme.

De plus, même si l’on parvenait à déterminer un objectif de population, comment le mettrait-on en oeuvre ?!

Est-ce que l’on assignerait à chaque pays une taille de population à ne pas dépasser ? Sur quelles bases ? Le terrain semble glissant, parce que cela représente un grand risque politique et idéologique (à base de racisme et d’eugénisme).

Il faut d’ailleurs rappeler que la taille de la population d’un pays est en elle-même un enjeu géopolitique. Avoir un pays très peuplé représente un avantage dans les rapports de force et les négociations entre Etats.

Alors comment s’assurer du respect de ces “quotas” de population ?

Certains pays, s’il étaient contraints de stabiliser ou réduire leur population très rapidement, pourraient avoir recours à des mesures radicales et très autoritaires, sur le modèle de la politique de l’enfant unique en Chine. Pour rappel, cette politique impliquait un contrôle régulier et sévère du corps des femmes, dont un grand nombre ont été forcées d’avorter ou de se faire stériliser.

Enfin, il faut bien garder en tête qu’on ne pourra pas faire diminuer drastiquement la population mondiale en quelques années, ni en quelques décennies, tout en respectant les droits humains.

C’est tout simplement impossible, parce qu’il faudra attendre que les gens meurent pour commencer à voir une différence. Ce qui fait qu’il y a beaucoup d’inertie quand on veut enclencher ce genre de dynamique.

Le problème est d’autant plus grand si l’on souhaite faire diminuer la population mondiale de plusieurs milliards de personnes. Car même si on arrivait à faire passer le taux de fécondité mondial en-dessous de 1,5 enfants par femme, il faudrait plus d’une centaine d’années pour repasser en-dessous de 4 milliards.

Alors je pense qu’il est presque impossible de se fixer un objectif chiffré à atteindre et à maintenir, mais que l’on peut tout de même décider d’une tendance à favoriser (inciter les gens à faire moins d’enfants).

Pour en savoir plus sur le sujet, j’ai vous renvoie vers cet article.

Sommes-nous trop nombreux sur Terre ?

Autrement dit : est-ce irresponsable de faire des enfants au 21ème siècle ?

troisiemebaobab.com

Comme cet article commence à être long et que j’aurais encore beaucoup de choses à dire, je vais juste finir par souligner la 12ème mesure énoncée par les scientifiques. Cette proposition relève d’un certain courage puisqu’il s’agit d’un positionnement politique radical, bien que formulé avec précautions.

Il s’agit de “revoir notre économie afin de réduire les inégalités de richesse et faire en sorte que les prix, les taxes et les dispositifs incitatifs prennent en compte le coût réel de nos schémas de consommation pour notre environnement.

Il faut donc prendre en compte les externalités négatives, c’est-à-dire les coûts sociaux et écologiques (maladies, pollutions) engendrés par la production industrielle et la consommation de masse. Ces coûts n’apparaissent pas sur les étiquettes des produits que nous achetons, mais nous finissons toujours par les payer d’une manière ou d’une autre (impôts, dépenses de santé, opérations de dépollution, altération de la qualité de vie).

Les scientifiques admettent timidement qu’il faut “réévaluer le rôle d’une économie fondée sur la croissance”.

Ne vous y méprenez pas. “Réévaluer”, ce n’est pas un mot gentil. Cela veut dire qu’il faut remettre profondément en question la base de notre économie, qui est la croissance éternelle et illimitée du PIB.

En d’autre terme, il faut changer complètement notre système économique.

Alors disons le clairement, cela implique de considérer d’autres systèmes que le capitalisme et le néolibéralisme actuels (et cela n’implique pas forcément le communisme à la soviétique qui, lui-aussi, a fait des ravages environnementaux).

J’ai justement écrit une série sur l’histoire et l’impact environnemental de la société de consommation, que je vous propose ici.

[1/8] La société de consommation : cette créature qui nous fascine et qui nous détruit

A force de m’intéresser à l’environnement et au changement climatique, j’ai découvert que le problème n’était pas là o…

troisiemebaobab.com


Voilà. Je n’ai pas de jolie conclusion à vous proposer mais je vais vous laisser là, parce qu’il est temps pour moi de retourner à mes occupations, tout en continuant de réfléchir à tout ça. A plus !